et te laisser me voler mes cigarettes sans jamais être fichue de trouver une allumette.

Je danse. J’aime danser. Certains aiment danser comme on aime lire ou manger. Sans passion. Platement. Certains ne savent pas ce que veut dire aimer. Je danse comme je respire, comme je vis, comme je meurs. Le miroir immense qui me fait face me renvoie toutes mes imperfections – certes peu nombreuses, mais existantes. Je croise le regard dur et sévère de ma professeure. Son pied bat la mesure, imperceptiblement. Sa tête s’incline quand je grimace. Elle ne sourit pas. Elle ne sourit jamais. Mes pieds, mon dos, mes cuisses, tout mon corps me fait horriblement souffrir. Ça fait quatre heures que je danse, quatre heures et aucune pause. La musique s’arrête. Je m’écroule lamentablement sur le sol, me recroquevillant sur moi-même. Madame – avec l’accent français, s’il vous plaît – s’approche de moi, me tourne autour. Son ton est cassant quand elle me demande de me relever. De danser, encore. Sans prendre le temps d’aller aux toilettes, de me faire une ligne ou d’avaler un comprimé. Elle m’ordonne de souffrir. Et elle est la seule à qui j’obéisse. Je souffre. J’aime souffrir.


Je sors à poil de la salle de bain, comme pratiquement tous les jours. La serviette que j’avais nouée autour de ma taille est tombée sur le sol pendant que je me séchais les cheveux. Sur le chemin qui me mène au dressing, j’égrène mes traces de pas mouillés sur le parquet. Jean-Eudes est là. Je l’entends rire – sûrement avec une pétasse blonde. J’ouvre la porte de sa chambre, me foutant bien de ma nudité. Je veux voir à quoi elle ressemble. Si c’est la même que la dernière fois ou pas. Ils sont affalés sur le lit et fument une clope. Elle est en sous-vêtements. Je m’appuie sur le mur, un sourire en coin plaqué sur les lèvres. Elle est pas trop mal foutue, la demoiselle. « J’vous dérange, pas j’espère ? » Regard désobligeant du frérot. Regard mi-choqué, mi-amusé de la pétasse, qui me matte des pieds à la tête. J’avais oublié que j’étais nue – n’empêche que ça a l’air de lui plaire. « Vous auriez pas une clope ? » J-E me balance son paquet à la figure. J’en sors une cigarette, l’allume avec un zippo abandonné sur le sol, que je garde longtemps entre mes doigts – juste assez pour réchauffer le métal glacé. Pas gêné pour un sou, la main de mon frère recommence à caresser le corps presque parfait de la jolie blonde qui glousse. J’observe. Je commente. J’encourage. Et puis j’éclate de rire. « Ils sont faux tes seins, non ? Non parce que… Des trucs aussi gros, ça peut pas être naturel, si ? » Il me balance son oreiller à la gueule. Elle ne répond rien. Je crois qu’il est temps pour moi de décamper et de les laisser baiser. Je reviendrai quand ce sera terminé, demander si la blondasse aux gros seins fallait vraiment le coup d’être sautée. Je jette mon mégot dans une bouteille de bière à moitié vide et tourne les talons – en laissant la porte grande ouverte, bien entendu. Si ce n’est pas une pute, elle se lèvera pour la fermer.
Je vais enfin au dressing. J’attrape une chemise noire, appartenant sûrement à mon frère. Ou à une de mes anciennes conquêtes. Je l’enfile, sans soutif. Je mets un boxer et un mini short rose et je vais m’affaler devant l’écran plat, tout en me roulant un bédot. Voilà l’histoire de ma vie.


La musique crie, la musique gueule et dans l’obscurité du coin VIP de la boîte la plus huppée de New-York, je ne suis plus sûre de rien. Je ne sais pas si je veux boire de la vodka ou du champagne, danser ou m’affaler sur une banquette, sniffer un autre rail ou me griller une énième clope, me taper la meuf de J-E ou ce mec aux mains parfaites qui me matte depuis environ trois heures et demies. J’opte pour la banquette en velours rouge et une coupe de champagne à peu près frais. Les bulles me montent au crâne – à moins que ce soit autre chose – et je souris comme une idiote. La chaleur est étouffante, les éclairs lumineux me font voir des trucs qui n’existent pas – à moins que. Une fille s’assoit à côté de moi. On dirait qu’elle a quinze ans. C’est peut-être le cas. Elle semble être ailleurs, son regard est torve et sa bouche entrouverte. Je la bouscule, pour éviter qu’elle ne pose sa tête sur mon épaule nue. Je ne veux pas qu’une mineure droguée ne me touche. Je finis par me lever, excédée. La loque s’étale de toute sa longueur sur la banquette. Sur la piste, il y a le mec qui me plaît en train d’embrasser la fille qui me plaît. Je soupire. Sans aucun scrupule, je me glisse entre les deux, ondulant en rythme malgré mon état : il faut saisir l’occasion où elle se trouve, non ?